Il existe actuellement dans le paysage économique des initiatives de toutes sortes. Cela va dans certains cas du retour au troc jusqu’à la fameuse monnaie virtuelle le Bitcoin[1] et tous ses équivalents, en faisant un détour par les monnaies complémentaires et enfin les principes de compensation interentreprises. Nous allons donc passer en revue quelques nouveautés fiduciaires qui fleurissent un peu partout avec plus ou moins de succès… ou d’intérêt.

« Si j’ai bien compris, le Troc est un moyen local pour créer du lien et permettre quelques échanges mais on ne peut en aucune manière compter sur lui pour le commerce moderne ! »

1° Troc : comme à chaque époque de crise, le troc fait son grand retour. Il me sera difficile d’en faire une critique puisque j’ai été l’inventeur de l’ancêtre du Système d’Echange Local (SEL) au début des années 90 en créant le premier système de Troc Temps[2]. C’est un beau succès, il existe maintenant plus de 600 associations « SEL » en France. On peut reconnaitre la réussite du réseau de socialisation créée par les milliers d’adhérents qui échangent leurs coupes de cheveux contre des petits dépannages de plomberie ou l’offre de leur vieux canapé contre un ordinateur reconditionné.

Soulignons toutefois que la notion de troc n’existe pas dans le droit français. Il est qualifié juridiquement « d’échange » par l’article 1702 du code civil[3]. Il s’agit alors de donner un produit ou un service pour un autre. Le législateur tolère de manière occasionnelle cette activité, mais il ne saurait être question de le généraliser de manière professionnelle. Ce système ne peut évidemment pas être viable sur le plan de la macro-économie pour deux raisons majeures. La première est que les échanges sont exonérés de charges sur les salaires et de taxes sur la valeur ajoutée et les pays ne peuvent pas se le permettre. Le second point vient du fait du manque de flexibilité et de précision économique dans les échanges. Il ne sera pas évident de synchroniser les besoins et les offres et surtout, l’économie est devenue tellement complexe que le troc reste un moyen archaïque et occasionnel. De nombreux économistes s’accordent pour affirmer que le troc n’a jamais été viable dans l’économie humaine. Ce vieux fantasme du retour au troc est une illusion. Depuis tous temps, des référents d’échanges ont été utilisés (source Wikipedia[4]) :

Matières naturelles : la pierre, le sel qui sert à payer les légionnaires romains (c'est l'origine du mot salaire), l'ambre, les pierres précieuses, les petits lingots de métal plus ou moins précieux.

Produits agricoles, d'élevage ou de cueillette : bétail (tel le bœuf dans le monde indo-européen d'où découle le latin pecus ou le sanskrit rupa à l'origine du mot roupie), grain de blé, graine de cacao, grain de poivre, feuille de tabac, peau de bêtes, morue séchée, feuilles de thé, etc. Les Américains appellent familièrement le dollar « buck » qui désigne un cervidé mâle, mot dont l'origine daterait de l'époque où, les pièces de monnaie étant rares, une balle de peaux de cerf pouvait faire office de monnaie d'échange que l'on appréciait à l'aune des pièces d'argent alors en circulation.

Produits artisanaux : pagne (Égypte, Afrique), verroterie (GnaïGnaï, perle « œil de chat » du Sénégal en Afrique), couteaux (Chine), araires (Chine), haches métalliques (Chine, pays celtiques), hachoirs (peuples précolombiens), métrage de tissu (Égypte, Amérique du Sud et du Nord, Afrique (Les Gabback du Nigéria), scandinavie médiévale(Vaðmál)), anneaux (Égypte), trépieds métalliques (Grèce), fer martelé (Guindja d'Afrique centrale), alcool (Amérique), fusils (Amérique), coquillages (tels les cauris) ou objets symboliques tels que les « monnaies-haches » de la fin de l'âge du bronze découvertes en Bretagne, etc.

Êtres humains : esclaves utilisés entre autres dans le cadre du commerce triangulaire.

C’est pourquoi, la piste alternative à l’économie bancaire ne peut en aucune manière passer par le troc. Il ne restera qu’un moyen ponctuel ou parfois folklorique pour recréer du lien social.

« S’il est vrai qu’échanger son travail contre une pièce ou un billet c’est toujours un échange, donc un troc, il faut toutefois reconnaitre que l’acceptation générale des outils de paiements rend le système fluide, d’où le nom de " liquide". »

A bien y réfléchir, les échanges fiduciaires sont une forme de troc moderne. Nous échangeons notre produit ou notre service contre un support (billet ou pièce) dont la valeur est absolument arbitraire. En effet, ce support est monétisé par l’état de son émission et peut à tout moment perdre ce statut par une démonétisation. Si vous êtes payé pour un mois de travail avec une pépite d’or brut, vous conviendrez qu’il s’agit d’un troc. Si vous payez à votre tour votre achat de meuble avec cette pépite, il s’agit toujours d’un troc. Maintenant, remplacez cette pépite par des pièces du métal de votre choix. Il y a fort à parier que vous affirmerez avoir été payé par de l’argent, alors qu’en réalité, vous avez été payé par du métal dont tout le monde s’accorde à donner une valeur. C’est donc en définitive une forme de troc dont nous n’avons aucune conscience. La seule forme de commerce qui à mon goût n’est plus du troc est celle qui passe par l’extinction de la dette par une compensation de compte.

2° Bitcoin : A ce jour nous ne connaissons toujours pas l‘identité du créateur de cette monnaie scripturale numérique née le 3 janvier 2009. Le principe est le suivant, un code informatique génère une unité de Bitcoin en quantité limité. Chaque Bitcoin vaut un certain montant qui dépend des fluctuations du marché. Ce dernier est assez volatile. Lors de son année de création, l’unité valait 0,000 764 $, le cours fluctue et un acheteur de 1 dollar lors de la création obtenait 1 308,90 Bitcoin. A son plus haut, le 17 décembre 2017, l’unité valait 19 891 $. Faites le calcul, pour un achat de 100 Bitcoins le 5 octobre 2009, vous étiez riche de 26 035 340 $ huit ans plus tard. Cela peut faire rêver quelques spéculateurs. Cependant, on peut reconnaître que cela ne fait pas avancer la société. Il s’agit en quelque sorte d’une nouvelle forme de coquillage électronique du XXIème siècle. Certains économistes comparent la courbe de progression de la valeur du Bitcoin à la bulle spéculative de la crise de la tulipe en 1637 en Holande. Certains Prix Nobel d'économie comme les américains Joseph Stiglitz et Paul Krugman ou encore le français Jean Tirole estiment tous que le Bitcoin est une bulle qui va éclater un jour ou l'autre, qu'il ne repose sur aucun fondement économique ou social durable et équitable. Quelques économistes ou financiers de renom, tels que Jamie Dimon, le PDG de JP Morgan Chase ou encore David Gledhill de la banque DBS n’hésitent pas à parler de schéma de Ponzi[5].

L’Alkémien comprend très rapidement qu’il n’existe pas grande différence entre un coquillage doré et un Bitcoin. Cet outil spéculatif crée autant d’inquiétude que tous les autres outils financiers instables et volatiles que nous connaissons.

Pourtant, même Mark Zuckerberg, le Président de Facebook se lance dans la course. Il annonçait au cours du premier semestre 2019 le lancement de sa crypto-monnaie « Libra »[6]. Ce projet n’est évidemment pas du goût de tous et de nombreux obstacles vont se dresser devant l’entrepreneur avant que les Etats le laisse les déposséder du droit de battre monnaie. Les nombreux articles de presse de tous pays en témoignent[7].

« Si je peux partager un avis de sagesse, je dirais que les crypto-monnaies ne sont que des supports de paiements temporaires qui finiront comme les autres moyens, c’est à dire par disparaître. En revanche, la cryptographie qui est sa technologie de support survivra et permettra à la Blockchain de donner un nouvel élan aux activités d’échanges entre les humains. »

Parlons un instant du principe de crypto-monnaies qui nous semble utile pour des raisons de technologie que nous évoquerons ci-après. Une crypto-monnaie, est un numéraire utilisant la cryptographie et utilisable exclusivement par voie informatique. Elle est considérée comme une monnaie alternative car les états ne les reconnaissent pas dans la mesure où elles n'ont pas de cours légal.

Toutes les crypto-monnaies utilisent la Blockchain. Ce principe technologique né avec le Bitcoin est révolutionnaire et devrait transformer d’ici peu le paysage Internet et surtout tous les systèmes marchands faisant usage des tiers de confiance. Ce point est une révolution totale pour le commerce du futur.

Tout d’abord, qu’est-ce que la Blockchain ? On peut dire qu’il s’agit d’une technologie pour stocker et transmettre les données entre les utilisateurs. Sa particularité est qu’il n’y a aucun gestionnaire central de contrôle. Certaines Blockchains sont libres d’accès, d’autres sont privées.

Pour prendre une image commune, imaginons un énorme tableau noir comme à l’école. Ensuite, imaginez que chaque écriture sur ce tableau reste stockée et encryptée. Tout ce qui s’écrit ne peut jamais s’effacer. Il reste pour toujours une trace pour la sécurité des opérations.

En résumé, avec l’Internet classique, si vous transférez 100 euros de votre ordinateur au mien, il y aura une copie de 100 euros sur mon ordinateur… mais le vôtre conservera la copie de 100 euros. En bref, il n’y aura aucune opération de transfert de valeur. Nos ordinateurs n’auront effectué qu’une opération de duplication des 100 euros. Ainsi, le paiement ne sera pas valide. Pour répondre à notre besoin, nous faisons appel à des tiers de confiance, tel que des banquiers officiels avec les enseignes que nous connaissons (BNP, Crédit Mutuel, CIC…) ou encore des systèmes de paiements avec des banques virtuelles (Paypal, PayLib, Google Checkout, Google Wallet, MoneyGram, AliPay, Kwixo, Buyster, Western Union, Yandex.Money...). Dans tous les cas, ces tiers de confiance centralisent les opérations et collectent au passage des frais d’intermédiation. Avec la Blockchain, l’opération financière entre A et B reste inscrite sur la grande ardoise et permet ainsi de garantir techniquement et sans intermédiaire que votre compte a été débité de 100 euros et le mien crédité.

Ce principe peut désormais s’appliquer à tous les secteurs de l’économie faisant appel à des tiers de confiance : le tourisme avec les agences de voyages ou les tours opérateurs, la musique et les producteur, les distributeurs… la finance avec les banques, le notariat et tous les actes nécessitants une garantie de contrôle de bon achèvement de l’opération. Même dans la chaîne alimentaire, le traçage de la provenance des aliments peut désormais être géré par cette technologie.

Le nombre d’acteurs dans l’émission de crypto-monnaies s’est multiplié et ce n’est pas terminé. On peut citer parmi les plus connus : Ripple, Litecoin, Cardano, NEM, Monero, Stellar, ou Iota…

3° Monnaies locales : Attardons-nous sur cet instrument. C’est la grande mode du moment et comme pour toute nouveauté, on en parle et on trouve cela très tendance. Elles existent depuis des décennies. Les Etats-Unis en comptaient déjà 5 000 différentes durant la grande dépression de 1929. Dès que la crise fut passée, la FED[8], qui comme chacun le sait, n’est pas une banque centrale indépendante, mais bien un organisme créé et géré par un groupement de banquiers privés, jugea plus sage, et moins risqué pour ses propres intérêts, de les interdire purement et simplement. Comme elles ne représentent plus un réel danger à la suprématie bancaire, elles sont actuellement de retour là-bas aussi. On en compte actuellement plus de 5 000 à travers le monde[9]. Le principe est le suivant : dans une zone préalablement délimitée, tous les acteurs économiques s’entendent pour transiger avec une monnaie locale au nom et à l’effigie de cette communauté. En France, nous comptons actuellement environ 70 monnaies de ce type[10]. Il s’en crée de nouvelles tous les mois. Sachant que la monnaie fiduciaire est appelée à disparaître totalement au profit des monnaies gérées par les grands éditeurs de cartes de crédit, il n’y a pas grand risque à laisser les acteurs locaux à jouer aux marchands et à la marchande avec des billets de Monopoly.

« J’aime raconter une petite histoire concernant l’argent : " Lorsque les photocopieurs couleurs furent inventés, pour en faire la promotion, un vendeur eu l’idée d’imprimer un billet de 100$ pour une expérience. Il utilisa son faux billet pour payer le restaurant du midi. Le restaurateur utilisa l’après-midi le billet pour payer le boulanger, qui s’empressa de régler sa dette chez le mécanicien. Ce dernier attendait une rentrée d’argent pour aller s’acheter le dernier photocopieur couleur dont il avait entendu parler. C’est ainsi que le billet revient chez notre vendeur. Qui croyait prendre fut pris. Mais l’autre morale de cette histoire, est qu’avec un vrai ou un faux billet… les dettes s’éteignent de la même manière. C’est très étrange quand même, non ? " »

C’est ce type de monnaie qui prit le relais dans tout le pays en Argentine à la fin des années quatre-vingt-dix[11], lors de la célèbre crise bancaire. Sept années plus tard, par un hasard malheureux, une mystérieuse inflation résultant d’une émission frauduleuse de billets permis aux banques du pays de reprendre le pouvoir en évinçant toutes les sociétés locales de compensation qui avaient servi de relais durant les années de crise.

Comprenons bien que les billets émis par les structures de gestion des monnaies complémentaires sont identiques à ceux de votre banque avec un habillage différent. Leur valeur est la même et surtout leur nature intrinsèque est absolument la même. Si votre euro devient rouge ou si vos pièces de 2 euros deviennent des morceaux d’aluminium, en quoi cela changera-t-il votre perception de l’argent ? Pour faire un parallèle, avec la monnaie complémentaire, il s’agit de changer la couleur de la laisse du chien et d’en réduire la longueur, mais aucunement de rendre la liberté à l’animal. Car l’entité qui décide en haut de la pyramide si le système doit continuer ou s’arrêter reste la haute finance avec ses relais politiques aux ordres, le doigt sur la couture du pantalon. Puisque nous parlons de liberté et de souveraineté, il ne vous aura pas échappé que le Franc CFA, malgré les cinquante dernières années depuis la décolonisation reste une prérogative française. Les fameux billets en cours dans 15 pays d’Afrique subsaharienne sont fabriqués chez leurs ancêtres les Gaulois… en Auvergne, à Chamalières pour être précis[12]. Ainsi, la zone est politiquement et militairement libre, mais elle n’a pas le choix de sa monnaie, c’est l’ancien maître qui gouverne toujours, n’est-ce pas un peu étonnant ? Souhaitons que l’Eco qui sera le remplaçant du Franc CFA et des 7 monnaies de la zone, puisse voir le jour à l’aube de 2020.

Nous comprenons nettement mieux la relation qui existe entre la monnaie et ses utilisateurs. La question suivante pourrait donc être : « Qui fabrique notre monnaie à nous les Européens ? » Vous pensez certainement que ce sont les bonnes usines de Chamalières qui nous fournissent nos billets… erreur ! La monnaie fiduciaire se raréfiant chaque jour d’avantage, nos échanges se paient désormais en carte de crédit. Et savez-vous où elles sont gérées ? Sur les deux côtes américaines. Pour Visa et American Express sur la Côte Ouest en Californie et pour Mastercard à Purchase (cela ne s’invente pas un nom pareil) sur la Côte Est[13] dans l’état de New-York. Chacune des opérations d’achat et de vente est répertoriée sur les ordinateurs de l’Oncle Sam, tout comme chaque déplacement avec nos smartphones dans la poche ou nos recherches les plus intimes sur Google ou sur Bing. Pouvons-nous encore parler de liberté ou de souveraineté dans ces conditions ? Notre colonisateur n’a pas de barbe pointue ou d’Uniforme militaire réalisé en 39 dans les ateliers Hugo Boss[14], mais il est toutefois évident qu’une colonisation économique et culturelle a pris un absolu contrôle de notre liberté à notre insu et avec notre total consentement.

« En lisant cet exemple des échanges économiques européens gérés sur les ordinateurs américains, je comprends cette idée de colonisation moderne à partir du support financier. Mais dans le fond, que la comptabilité des échanges payés avec nos cartes de crédit se fasse en France ou aux USA cela ne change pas grand-chose. Ce qui me gêne nettement plus, c’est lorsque ces mêmes cartes de paiements m’offrent du crédit. Car dans ce cas elles créent avec moi un rapport de dépendance et de contrôle »

Puisque nous parlons de liberté. Les commerçants qui adhèrent aux monnaies locales sont généralement satisfaits de ce système de contre-achat forcé. N’oublions pas qu’en recevant un billet de 5 euros de votre quartier, vous êtes contraints de l’utiliser dans ce même quartier. Depuis Turgot[15], les frontières intérieures sont tombées et chacun peut acheter ou vendre selon son libre choix. En étant payés avec une monnaie locale, celle-ci n’a cours que dans votre zone économique d’action. Cela restreint forcément la liberté économique à moins de pouvoir convertir sa monnaie locale comme nous le faisons avec nos devises habituelles. Ainsi, sous des apparences ludiques et communautaires, ce système présente quelques inconvénients non négligeables, car il enferme dans un communautarisme et ne libère en aucune manière. En revanche, ce système présente l’avantage de s’affranchir ponctuellement des banques, du moins en apparence.

Le film « Demain »[16] de Cyril Dion présente les initiatives de monnaies locales comme la panacée, sans avoir pleinement évalué les dangers de la généralisation de ces cautères (pansements) pour jambes de bois.

Je pense pour ma part que le système des monnaies complémentaires est un leurre qui risque de ralentir la saine transition dont le monde a besoin. Le remède pourrait-être pire que le mal. Sous une apparence de liberté transgressive, chacun à l’impression de faire un pied de nez au système en payant ses courses avec des billets de Monopoly. En réalité, nous maintenons ainsi les utilisateurs dans un système aliénant qui les empêche d’explorer d’autres voies de liberté. C’est pourquoi, les périodes de crises sont parfois salutaires. Elles permettent d’ouvrir des brèches et d’explorer au-delà de nos peurs des systèmes connus depuis longtemps, mais gardés sous silence afin de ne pas nuire aux réseaux nettement plus rentables détenus par ceux à qui nous confions la maîtrise de notre l’économie.

4° Barter professionnel : Depuis les années 1980 en France des sociétés développent ce que les anglais nomment le barter[17]. Il s’agit d’organiser des échanges entre entreprises qui paieront avec leur production sous la forme d’échanges de marchandises. Tous les spécialistes de la publicité sont familiers depuis toujours avec ce procédé qu’ils nomment « échange marchandise ». De nombreuses sociétés de radio, d’affichage ou de télévision ont des comptes avec des transporteurs aériens, des fabricants d’objets promotionnels ou des loueurs de véhicules pour opérer des transactions bilatérales tout au long de l’année. Dans certains secteurs d’activités, l’échange est aisé et fluide car tout le monde peut acheter des billets d’avion ou des campagnes d’affichage 4X3, mais lorsqu’il s’agit de proposer des alarmes de magasins ou de la production chimique, cela devient nettement plus complexe. Ce n’est pas un hasard si la monnaie fiduciaire est appelée : « liquide ». C’est justement pour fluidifier les échanges supprimer toute résistance à la transaction. Depuis quelques années, des sociétés spécialisées organisent de manière ponctuelle ou permanente ces opérations d’échanges. Elles assurent la facturation entre les parties, le bon déroulement de l’opération et se rémunère par un pourcentage.

Ce système permet, depuis plus de cinquante ans aux USA, aux entreprises d’écouler leurs stocks d’invendus. Face aux manques de fluidité et surtout, compte tenu des défaillances des entreprises qui gèrent ces échanges, le système stagne et ne décolle pas. En France, les quelques sociétés qui assurent ces transactions occupent le créneau mais ne proposent en aucune manière une alternative durable et surtout généralisable au système financier global.

« J’ai bien compris ce qu’était la compensation de créances entre acteurs économiques, mais je me pose toujours la question suivante : "Pourquoi se compliquer la vie, si le banquier nous prête de l’argent ou gère des paiements cela revient au même, non ? " »

5° La compensation : Lorsque deux personnes se doivent réciproquement une somme, la loi permet à l’un des deux d’imposer ce qu’on nomme la compensation de créance[18]. Lorsque les deux parties sont consentantes c’est encore mieux, car elle s’accorde pour se payer par compensation. En résumé, l’article 1289 du code civil dit que : « Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes… ». Selon ce principe, nous pouvons envisager de ne plus faire intervenir un tiers prêteur, mais d’éteindre les créances par un système de compensation générale. Imaginez maintenant un groupe de 100 entreprises qui ne font plus circuler d’argent bancaire pour se payer. Elles éteignent toutes leurs créances par un compte central de compensation. Certaines entreprises seront en fin de moi en crédit et d’autre en débit, jusqu’au mois prochain où les comptes seront mis à jour…

Le crédit que s’accordent les entreprises se nomme crédit fournisseur. Penchons-nous quelques instants sur ce mécanisme.  

Viabilité d’un système de compensation :

Il existe quelques précédents économiques dans l’histoire. Nous allons commencer par deux expériences nées durant la crise de 1929.

 

1.      La première a vu le jour chez nos voisins helvètes. La Suisse puise son dynamisme économique en grande partie dans l’existence d’une importante caisse de compensation interentreprises créée en 1934. Elle se nomme Wir et compte actuellement 60 000 entreprises membres, soit 20% des entreprises du pays. Il s’agit d’une coopérative helvétique dont les actifs représentent environ 5 milliards d’euros pour un résultat annuel de 13,5 millions d’euros. Sur chaque transaction, Wir prélève 1% de commission auprès du vendeur. La masse actuelle de l’économie Wir au sein de la Suisse représente 1% de la masse financière totale du pays. De nombreux témoignages d’utilisateurs attestent de la survie de leur entreprise grâce au système Wir. Durant les périodes de crises, ces derniers maintiennent la tête hors de l’eau et assure le plein emploi de leurs salariés par l’apport de clientèle supplémentaire[19].

2.      Le second exemple est né à la même époque, mais a pourtant connu un dénouement moins heureux. Il démontre clairement que toute initiative qui nuit à l’ordre établi peut créer des animosités de la part du système bancaire. L’expérience de Wörgl est née dans les années 1930 en Autriche. L'expérience de Wörgl fut conduite de juillet 1932 à novembre 1933. Wörgl est une petite ville d'Autriche de 4 000 habitants qui introduisit un système de bons locaux durant la Grande Dépression. En 1932, le taux de chômage à Wörgl avait augmenté de 30 %. Le gouvernement local avait accumulé des dettes d'un montant d'1,3 million de schillings autrichiens (ATS) alors que les réserves en liquidité correspondaient à 40 000 ATS. La construction locale et l'entretien municipal étaient au point mort.

À l'initiative du maire de la ville, Michael Unterguggenberger, le gouvernement local imprima 32 000 bons-travail portant un taux d'intérêt négatif de 1 % par mois (monnaie fondante), et pouvant être convertis en schillings pour 98 % de leur valeur faciale. Un montant équivalent en schilling était déposé à la banque locale pour couvrir les bons en cas de rachat en masse et de réclamation des intérêts par le gouvernement. Les bons circulèrent si rapidement, que seuls 12 000 d'entre eux furent en fait mis en circulation. Selon les rapports du maire et d'économistes qui étudièrent à l’époque cette expérience, le système de bons fut facilement accepté par des marchands locaux et la population locale. Les bons permirent de réaliser pour 100 000 ATS de projets de travaux publics incluant la construction et la réparation de routes, de ponts, de réservoirs, de systèmes de drainage, d'usines et de bâtiments. Le bon eut également cours légal pour le paiement des taxes locales. Pendant l'année où la monnaie fut en circulation, elle circula 13 fois plus vite que le shilling officiel et servit de catalyseur à l'économie locale. Les lourds arriérés en impôts locaux se réduisirent de façon significative. Les recettes du gouvernement local s'élevèrent de 2 400 ATS en 1931, à 20 400 en 1932. Le chômage fut éliminé, alors qu'il demeura très élevé dans le reste du pays. Aucune hausse des prix ne fut observée. S'appuyant sur le succès significatif de l'expérience de Wörgl, plusieurs autres communautés introduisirent des systèmes de bons similaires.

En dépit des bénéfices tangibles du programme, il se heurta à l'opposition du parti socialiste régional, et à l'opposition de la banque centrale autrichienne, qui y vit une violation de ses pouvoirs sur la monnaie. Il en résulta une suspension du programme, le chômage se développa à nouveau, et l'économie locale dégénéra bientôt au niveau d'autres communautés du pays.[20] 

 

3.      Ce troisième exemple a vu le jour dans les années 1990 en France. J’ai conduit cette expérience avec une équipe d’informaticiens, de commerciaux et surtout avec le concours du docteur Abdou Elimam[21] docteur linguiste. Un chapitre entier sur Wikipedia y est consacré[22] :

 « Un concept de banque alternative fut mis au point de manière empirique au début des années 1990 par Franck Fouqueray un entrepreneur français. Ce dernier était déjà le pionnier en France des Systèmes d’Échange Local (SEL). Durant quatre ans, il développa dans l'Ouest de la France et dans la Région parisienne une « Caisse de Transactions Inter-commerciale » composée de 500 entreprises adhérentes. Chaque adhérent recevait dès son arrivée : une ligne de crédit à 0 % d'intérêt, une carte de membre, un accès au compte Minitel et l'annuaire de tous les membres. Chaque achat était porté à son débit de compte. Chaque vente était portée à son crédit. La compensation entre les deux était immédiatement faite par le Minitel. À la fin de chaque mois, un arrêté des comptes était établi. Les soldes de comptes créditeurs étaient reportés au mois suivant. Les soldes débiteurs quant à eux étaient remboursés par prélèvement bancaire selon un principe de crédit révolving (1/10e du découvert). Aucun taux d'intérêt n'était appliqué, puisque le débit des uns était équilibré par le crédit des autres. La caisse était perpétuellement avec un solde zéro. Afin de maintenir un équilibre, les liquidités collectées chaque fin de mois sur les débits, servaient à racheter le crédit des entreprises membres qui avait un compte de crédit trop important. Voir à ce sujet le schéma de fonctionnement.

Les avantages de ce système sont les suivants : Le crédit est entièrement gratuit, car aucun taux d'intérêt ne peut être pratiqué dans la Caisse de Transactions. Il s'agit d'un système financier réellement alternatif et indépendant du système bancaire. Il ouvre aux utilisateurs un espace commercial générateur de nouveaux marchés, car le crédit des comptes n'est utilisable qu'au sein de la Caisse de Transactions.

« Je comprends que ce système fonctionne comme une banque, mais je m’interroge quand même sur les garanties apportées par la Caisse. Comment vit-elle et quelles sont les garanties qu’elle apporte à ses clients ? »

En 1993, la Caisse de Transactions, forte de ses 500 entreprises membres, lança le crédit gratuit aux particuliers. L'année suivante elle réalisa ainsi un total de 13 500 transactions. Une plainte fut déposée auprès du parquet de Paris pour exercice illégal d'activité bancaire (l'article L. 511-5 du Code Monétaire & Financier). Après 3 mois d'enquête de la brigade financière de Paris, un non-lieu fut prononcé. Il fut démontré que la Caisse de Transactions ne recevait aucun dépôt et ne prêtait aucune somme financière. Toutes les transactions résultaient bien d'une action commerciale de vente et d'achat. »

« Pour la sécurité, il y a plusieurs niveaux. Le 1er : Cette Caisse ne prête pas d’argent, elle assure uniquement la gestion des crédits et des débits entre les membres. 100 € d’achat de A engendrent 100 € de crédit chez B. Tout est équilibré en permanence. »

Par ailleurs, sur chaque transaction, la caisse perçoit un pourcentage pour financer l’assurance risque qui couvre les défaillances. C’est une mutualisation des risques. »

La viabilité de ces systèmes semble prouvée par le nombre de transactions réalisées. La seule incertitude vient de deux points cruciaux :

-          La réaction de la concurrence bancaire ou étatique. Nous l’avons vu avec l’expérience de Wörgl lorsque le maire, Michael Unterguggenberger, dû répondre personnellement de son projet. Je connais assez bien ce risque pour avoir été convié à la brigade financière à l’époque. Il convient donc d’être prudent dans la réalisation de ce projet et d’en définir très précisément les limites juridiques.

-          Le deuxième point est tout aussi important, il s’agit de la masse des utilisateurs du système. Une caisse de compensation avec 10 participants ne représenterait guère d’intérêt. Il faut donc envisager un système national… et plus encore. L’abandon progressif des souverainetés nationales ouvre la porte à un développement international.

Ces caisses de compensations qui gèrent le crédit interentreprises ne sont surtout pas à confondre avec les émissions monétaires dites privées tels que le Liberty Dollar[23] aux USA : « Le Liberty Dollar était une monnaie privée (ou monnaie libre ou monnaie complémentaire) dont la valeur de réserve est du métal précieux. Elle était émise sous forme de pièces métalliques, de certificats d'argent et d'or sur support papier ou électronique. Elle est née le 1er octobre 1998 des mains de son architecte Bernard von NotHaus et est utilisée par plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le service d'émission des liberty Dollar a été fermé le 31 juillet 2009 par son fondateur. »

Ces dernières se rapprochent des monnaies complémentaires ou du principe des cryptomonnaies.



[1] Crypto monnaie autrement appelée monnaie cryptographique. L'idée fut présentée pour la première fois en novembre 2008 par une personne, ou un groupe de personnes, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Le code source de l'implémentation de référence fut quant à lui publié en 2009.

[2] Source Wikipedia - https://tinyurl.com/SEL-ffranck : « En 1990 un entrepreneur privé, Franck Fouqueray et son entreprise Trader France a été à l'origine d'un système d'échange au Mans. Le système était baptisé Troc Temps et gérait les échanges de services entre les cinq cents adhérents grâce au Minitel. »

[3] L'échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre.

[4] Histoire de la monnaie : https://tinyurl.com/monnaie-wiki

[5] Montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Le nom émane de Charles Ponzi qui était un escroc italien, concepteur d'un mode d'escroquerie élaboré sur une chaîne d'emprunt.

[6] https://tinyurl.com/fb-libra-enjeux

[7] https://tinyurl.com/libra-OuestFrance

[8] Lire à ce sujet l’excellent ouvrage « Le complot de la Réserve Fédérale », d'Antony Sutton (traduit en 2009 - Edition Nouvelle terre)

[9] Lire à ce sujet : « Mission d’étude sur les monnaies locales complémentaires et les systèmes d’échange locaux » https://tinyurl.com/missionetude-ESS

[10] Voir la liste à jour : https://tinyurl.com/liste-des-MC

[11] Essor et faillite des réseaux de “troc” en Argentine : https://tinyurl.com/trocargentin

[12] Source Figaro « L'Italie accuse la France de coloniser l'Afrique avec le franc CFA » : https://tinyurl.com/italieaccusefrance

[13] Le match Visa MasterCard https://tinyurl.com/visa-master-lematch

[14] Hugo Boss a habillé les nazis durant la seconde guerre mondiale.

[15] Anne Robert Jacques Turgot né le 10 mai 1727 à Paris, où il est mort le 18 mars 1781. Homme politique et économiste français. Partisan des théories libérales de Quesnay et de Gournay. Il est généralement admis que "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations" d'Adam Smith doit beaucoup à Turgot.

[16] Film documentaire français réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, sorti en 2015.

[17] Barter : Troc en français

[18] Il est toutefois interdit de l’imposer à l’état. Ce dernier peut vous devoir 1 million et vous 10 euros, vous devrez d’abord payer votre dette et l’état vous règlera lorsqu’il le souhaitera..

[19] Témoignage sur www.terraeco.net/Le-wir-carburant-de-l-economie,43047.html

[20] https://tinyurl.com/ExperienceWorgl

[21] fr.wikipedia.org/wiki/Abdou_Elimam

[22] Source Wikipdia - https://tinyurl.com/CaisseDeTransactions

[23] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liberty_dollar